4 générations
juin 30th, 2007Cette photo m’a été envoyée par Carmen à Noël 91. Il y a donc elle, sa fille Odette, son petit-fils Mario et devant, la fille de celui-ci : Laura. Donc : 4 générations.
Carmen était la femme de mon ami Raymond, chez qui j’ai toujours été bien reçu. Son petit fils Mario travaille à Papeete, et lors de sa venue en métropole avec un de ses amis, alors qu’ils descendaient de Paris à Nice, ils se sont détournés jusqu’ici, uniquement pour nous apporter les salutations de ses grands-parents.
Avec Raymond, j’apprenais le mode de vie des caldoches, avec mes amis Kanaks le leur. Ce n’était pas la même vie, Raymond en plus de son travail au nickel, avait une propriété à Ponerihouen, qu’il exploitait avec son gendre et sa fille. Café, et autres produits de la terre. Beaucoup d’ailleurs pour leur propre consommation. Son gendre s’occupait aussi de l’élevage de bêtes à cornes. Raymond habitait à Nouméa, pas loin de l’hôtel Mary, où je logeais. De temps en temps, il montait à Ponerihouen, et me laissait, à ma demande, à Bâ à une vingtaine de kilomètres de chez lui. Là je vivais avec les Kanaks.
Après avoir fait la coutume, j’étais comme chez moi. Nous allions à la pêche, nager ou encore visiter le pays. A l’époque rare étaient les kanaks ayant une voiture, alors les randonnées étaient les bienvenues. Le soir, l’extinction des feux se faisait avec le soleil, car seuls les fermiers avaient des groupes électrogènes, chez les Kanaks c’était la lampe à pétrole ou le feu de bois. Le soir, comme les cases sont assez éloignées les unes des autres, ils se réunissaient devant l’une ou l’autre et c’étaient des parlotes à n’en plus finir. Des éclats de rire, des chants, et des histoires. Ils savaient s’amuser de tout et d’un rien. Avec la fraîcheur qui nous enveloppait après les heures de chaleur, ces soirées étaient des moments à déguster. (J’ai parlé au passé, non seulement parce que, pour moi, c’est du passé ; mais j’ai bien peur que ce mode de vie soit définitivement passé.)
Que je sois avec les kanaks ou Raymond et Paul, son cousin, en brousse ou à la pêche, j’étais fasciné de les voir évoluer. Ils avaient tous une aisance naturelle dans leurs mouvements. D’instinct, les pieds se posaient là où il fallait, ils voyaient ce que je ne voyais pas. Par exemple, Paul me dit : « par là, il doit y avoir un nid d’abeilles », après avoir chercher quelques temps, il fut trouvé dans un creux d’arbre. Il monta à l’arbre, avec son sabre de brousse, que tous ont en main, il farfouilla dans le creux, malgré les piqûres et nous ramena du miel en vrac. Tout cela, naturellement, comme s’il n’avait rien ressenti. Et à ma question : « comment as-tu su qu’il y avait un nid dans les parages ? »- « Depuis un moment j’avais remarqué leur manège, même si elles n’étaient pas nombreuses, j’étais sûr qu’elles logeaient pas loin. »
Un autre jour, alors que nous rentrions de pêche vers 18 heures, Raymond se trouvait à la barre, Paul l’écarte de la barre et nous crie : « arrimez vous ! » Tout en faisant virer le bateau vers la haute mer, et en poussant le moteur à fond, il nous crie : « il y a un voilier retourné là bas, regardez ! ». Moi je voyais bien une forme sur l’eau mais très loin. Je ne pensais pas que c’était un voilier. Les deux autres hommes et même les 2 ados, ont commencé à se dévêtir, sans un mot. J’ai compris que eux avaient aussi, distingué un voilier. Arriver sur les lieux, deux jeunes enfants étaient couchés sur la coque et se cramponnaient comme ils pouvaient, alors qu’un homme nageait en essayant de pousser la coque. Bien que le bateau ne soit encore pas arrêté, presque en même temps, les 4 gaillards étaient à la baille. Deux d’entre eux, nous passèrent les enfants, les deux autres plongèrent et allèrent décrocher la voile. Dès que la voile fut démâtée, le voilier repris sa position normale.
Le voilier pris en remorque, avec dessus son proprio et un fils de Paul, nous avons pris le chemin de retour, pendant que les femmes dans la cambuse, frictionnaient les enfants et les réchauffaient avec du thé chaud.
Là, encore, je suis resté soufflé par leur rapidité, 10-15 minutes maximum et tout ça, sans même avoir prononcé un mot, chacun sachant se qu’il devait faire. Ce douanier et ses neveu et nièce, ont eu de la chance que nous rentrions un peu tard, car nous étions sûrement le dernier bateau à rentrer. Cet homme Paul, le cousin à Carmen, était capable de faire tout ce qu’il voulait de ses mains, et je dirais presque aussi de ses pieds. Il s’est construit une maison en brousse de toute beauté. Vivre près et avec la nature, rend un homme, plus sur de lui tout en restant humble. Jamais, je ne l’ai vu montrer sa supériorité dans une spécialité quelconque, il faisait naturellement sans rien dire. Je me disais toujours, ces hommes agissent comme ils pensent, sans avoir à l’expliquer. Pour moi, qui avait vécu jusque là, dans un milieu où la parole prime sur l’action (il n’y a qu’à voir nos hommes politiques) c’est une leçon qui me fut donné.