Les tribulations………..suite.
Je continuais mon petit bonhomme de chemin, mais je n’allais plus au travail avec le même état d’esprit. J’aimais toujours mon travail, car il était toujours différent. Selon son utilisation et sa conception, chaque four est autre ; par les matériaux employés et par sa forme. Donc ce n’est pas comme le gars qui travaille à la chaîne et qui va au boulot, comme s’il allait faire ses 8 ou 10 heures de bagne. De plus, nous n’avions pas une armada de chefs et de sous-chefs, comme dans un ministère.
C’est surtout l’esprit, la mentalité dans la boite qui me stressait. Il n’y a pas la camaraderie que l’on côtoie dans les usines et mines de l’Est et du Nord, ni cette fraternité naturelle des cités ouvrières où le malheur des uns touchait l’ensemble de la cité, ce n’était pas ostentatoire, c’était comme ça….. c’est tout. Il n’y avait déjà plus ce qui faisait le renom du compagnonnage, la solidarité. Le grenoblois a la réputation d’être froid, plutôt individualiste ; mais l’apport de travailleurs étrangers (surtout ritals ici), puis après 68 le développement industriel, qui a attiré sur le département des gens venant d’autres régions de France, a fait évoluer celle-ci, mais dieu que c’était dur avant. Nos premiers amis venaient, pour la plupart, du Nord ou du Creusot.
Cette mentalité se retrouvait dans les entreprises, où le nouveau est toujours l’intrus. Il est analysé, soupesé puis étiqueté. Alors que je ne désirais qu’être compagnon, certains me prêtaient des ambitions. De plus, c’était un boite familiale, non pas où les compagnons étaient considérés comme membres de la famille, mais où tous les membres de la famille émargés directement ou indirectement aux rétributions salariales. Il y avait frère, beau-frère, avant mon arrivée une sœur et l’ancien patron « le paternel », à mon avis, devait toujours percevoir une soulte. Quand aux voitures de sociétés, tous en avaient une, de même modèle, ce qui permettait au patron de commander les pneus de rechange par « gros lot ».
J’avais tiqué dès ma première fiche de paie. Celle-ci nous était remise dans une enveloppe, avec inscrit sur celle-ci : nos frais de route et de déplacement, mais aussi nos heures de route, pour se rendre d’un chantier à l’autre. Ces heures, qui normalement sont considérés comme heures travaillées, devaient donc être prises en compte pour la majoration des heures supplémentaires. La façon de nous les payer hors la fiche de paie, me faisait perdre les 50% de majoration, car presque toutes, incorporées dans mes heures travaillées, auraient bénéficié de cette majoration. De plus, c’était aussi grugé la SS et autres caisses, des cotisations que ces heures engendraient. Vous ne trouvez pas que j’étais devenu un ouvrier docile ?
Par la suite, il a commencé à nous chercher des poux, sur la quantité d’heures de voyage que nous lui facturions, des frais de route, etc. Moi, je lui facturais en me renseignant à la SNCF les heures de trajet par le train, et ceux passées à la recherche de la pension. Ce qui devait arriver, arriva. Les bons compagnons se sont carapatés. Certains se sont mis à leur compte et d’autres ont changé de crémerie. Et moi…..je rongeais mon frein.
Jusqu’au jour où je suis monté sur la région parisienne (dans une ville dont la banlieue s’est un peu soulevée, il y a quelque temps.). Nous étions 3 compagnons sur le chantier. Dès le début, j’ai compris que je ne finirais pas le chantier. Les deux autres arrivaient soit à la bourre, soit s’absentaient certaines après-midis. Quand l’ingénieur de l’usine me demandait où étaient les deux autres compagnons, je donnais toujours une excuse. La 1ère fois, à la visite médicale du travail, la 2ème fois, partis toucher leurs congés payés, alors qu’ils étaient au Bourget à la foire exposition des caravanes. Ce qui m’a fait exploser, ce fut la lettre recommandée reçue le vendredi matin, par le responsable du chantier, lettre qui nous traitait de fainéants, de moins que rien, et j’en passe. Le chef de chantier me fit lire la lettre. Sans un mot, je descends dans le four, ramasse mes clous et je lui dis : « Donnes moi mon acompte et téléphone au nain de jardin, qu’il me prépare mon compte pour samedi matin. Je serais au bureau dès 9 heures. Allez, donnes que je me tailles et prenne le train de nuit. » Il était un peu emmerdé et ne savait que dire. « Ne t’en fais pas, je n’ai jamais mouchardé, ce que vous faites, ça vous regarde, mais moi, je ne me suis jamais laissé traiter de fainéant, ni par un compagnon, encore moins par un patron. Donnes moi mon fric fissa que je me tire et pour votre chantier, démerdez vous. »
Le soir même je prenais le train gare de Lyon et je vous assure que personne n’avait intérêt à me marcher sur les arpions, mes 110 kg de muscles (hum !) étaient bandés comme un arc. Malgré tout, je respirais mieux………… je n’avais plus de contrainte !
La suite…..a++